Le IVème Plénum du XXème Comité central du Parti communiste chinois (PCC) sur le XVème Plan quinquennal de développement économique et social. Regards d’Afrique
Au moment où le IVème Plénum du XXème Comité central du Parti communiste chinois (PCC) s’affairait à examiner et adopter les Propositions sur l’élaboration du XVème Plan quinquennal de développement économique et social, deux grands Etats d’Afrique francophone étaient, eux, engagés dans des échéances électorales pour le choix d’un président de la république. Il s’agit du Cameroun (12 octobre 2025) et de la Côte d’Ivoire (25 octobre 2025). L’âpreté de la compétition électorale donne lieu à une profusion de promesses – souvent fantaisistes - sur le développement économique, social et culturel pour la durée du mandat, entre 5 et 7 ans. Les promesses à court terme s’expliquent par l’absence de projets à long terme, l’Afrique ayant rompu avec les Plans quinquennaux depuis la fin des partis uniques, la démocratisation libérale, tout cela, dans la foulée de l’application des Programmes d’ajustement structurel de la décennie 1980-1990. C’est dans ce contexte que s’est imposé l’électoralisme, avec la focalisation sur les seuls succès électoraux. Le sommet France-Afrique de La Baule (19-21 juin 1990) fut le moment crucial de ce processus, la France conditionnant l’aide au développement à la démocratisation libérale. Trente-cinq ans plus tard, l’échec est constaté, la « démocratie de La Baule » s’avérant coûteuse en temps, en énergie, en ressources financières et en vies humaines, du fait de son potentiel clivant et belligène intrinsèque. L’Afrique est maintenant à la recherche d’une alternative viable, d’où un regain d’intérêt pour l’expérience chinoise de la modernisation, avec son pendant naturel, le Plan quinquennal. Les succès fulgurants de la Chine frappent, comme l’atteste le bilan du XIVème Plan quinquennal. Samir Amin dit : depuis les années 1950, le Plan a permis à la Chine de construire un système productif moderne, intégré souverain, qui ne peut plus être comparé qu’avec celui des Etats Unis. Contrairement aux prétentions des libéraux, il précise que c’est le Plan et non « l'ouverture » qui constitue le moyen central de la mise en œuvre de cette construction systématique. L’ouverture à l'initiative privée et au monde capitaliste s’imposait afin d’éviter l’enlisement, cause de l’effondrement du système soviétique, la preuve en est que l’application du « socialisme avec marché » a produit des effets positifs en accélérant la modernisation du pays. Mais, comme l’enseigne encore Samir Amin, la construction d’une urbanisation industrielle et productive et la mise en place d’un véritable système productif souverain restent en grande partie redevable au Plan et non au seul marché. Au plan politique, Deng Xiaoping avait présenté les Quatre Principes cardinaux suivants comme conditions préalables à la réalisation de la modernisation : la fidélité à la voie socialiste, le maintien de la dictature du prolétariat, la réaffirmation du leadership du Parti communiste chinois et enfin, la fidélité au marxisme-léninisme et à la Pensée de Mao Tsé-Toung. Pour sa part, le Communiqué du IVème plénum du XXème recommande le maintien et le renforcement de la direction centralisée et unifiée du Comité central du Parti, la promotion de l’édification de la démocratie et de la légalité socialistes et enfin, la mobilisation de l’enthousiasme, de l’initiative et de la créativité de l’ensemble de la société pour la modernisation chinoise. La formation d’un front uni national a facilité l’unité des forces progressistes et anti-impérialistes du pays et permis l’atteinte rapide de ces objectifs. La sélection d’une élite politique et administrative compétente et vertueuse, dans l’esprit des « Huit recommandations », a été d’un grand apport, avec l’amélioration de la gouvernance, la lutte contre les privilèges, la promotion de la sobriété et la responsabilité. La grande qualité des personnalités impliquant dans les débats sur le XVème Plan quinquennal frappe. En plus des 315 membres titulaires et suppléants du Comité central du Parti et des membres du Comité permanent de la Commission centrale de contrôle de la discipline, l’on notait aussi la présence des experts et des savants, chose inimaginable dans les démocraties électoralistes d’Afrique qui ne favorisent que les médiocres et les corrompus. On peut donc envisager avec optimisme l’atteinte des objectifs annoncés dans le XVème Plan, à savoir : le développement de qualité, l’augmentation de l’indépendance et de la puissance des sciences et technologies, l’élévation du niveau de civilité de l’ensemble de la société, la possibilité de rendre plus indépendantes et plus fortes la recherche et l’innovation chinoises de haut niveau et de guider le développement des forces productives de nouvelle qualité.
Dans un contexte de guerre économique farouche, la Chine entend s’appuyer sur le nouveau cycle de révolution technologique et de transformation industrielle pour réussir son pari en tant que puissance économique de premier plan dans les domaines de l'éducation, des ressources humaines et des sciences et technologies. En particulier, le pays entend améliorer l'efficience globale du système d'innovation national, renforcer la capacité d'innovation autonome sur tous les plans, se situer à la pointe du progrès technologique et développer sans cesse les forces productives de nouvelle qualité. D’où la décision de « renforcer l'innovation primaire et redoubler d’efforts pour réaliser des percées dans le domaine des technologies clés et des technologies de base ; favoriser l’intégration approfondie de l’innovation technologique et de l’innovation industrielle ; promouvoir un développement intégré de l'éducation, des ressources humaines et des sciences et technologies ; poursuivre l'édification d'une Chine numérique ».
Dès les premières années de l’Ouverture et de la Réforme, la question de la planification stratégique s’était posée en termes de choix crucial entre la voie socialiste de développement et la libéralisation bourgeoise. Contre les critiques de droite, y compris au sein du PCC lui-même, Deng Xiaoping et ses alliés avaient choisi la fidélité à la voie socialiste. Ce fut notamment le cas de Chen Yun qui s’était beaucoup investi dans la lutte idéologique, avançant ainsi des propositions originales. Cette lutte s’imposait, car avant la réforme et l’ouverture, il était évident que ce pourquoi travaillait le Parti, c’étaient le socialisme et le communisme. Or, certains hauts responsables du Parti s’étaient laissé convaincre que le communisme était une utopie irréalisable. De retour de missions à l’étranger, certains cadres s’extasiaient devant la prospérité de l’Occident et demandaient par conséquent que la Chine emprunte à ce dernier non seulement ses technologies, mais aussi son système économique, social et politique. Bluffés par les succès de l’économie libérale de l’après-guerre – les « Trois glorieuses », nombreux étaient ceux qui prétendaient que le socialisme était inférieur au capitalisme. Deng décida donc de démolir cette affirmation. Selon lui, le socialisme, et le socialisme seul pouvait sauver la Chine. Cette vérité fondamentale était connue depuis le Mouvement du 4 mai 1919. Il dit que si elle s’écartait du socialisme, la Chine régresserait inéluctablement vers le semi-féodalisme et le semi-colonialisme. En effet, depuis la révolution socialiste, l’écart du développement économique s’était considérablement réduit entre la Chine et les pays capitalistes avancés. Deng précisa que malgré les erreurs commises, la Chine avait « réalisé des progrès à une échelle que la vieille Chine n’aurait pas pu réaliser en des centaines, voire des milliers d’années ». Dès lors, le Parti communiste chinois pouvait s’autoriser quelques prédictions qui, des années plus tard, allaient s’avérer exactes, le pays se développant plus rapidement que l’économie de n’importe quel pays capitaliste. C’est la planification stratégique qui expliquait ces progrès.
Quel que soit l’environnement interne et externe, la Chine est toujours capable d’accomplir ses objectifs de développement grâce à une vision stratégique à long terme qui peut couvrir des décennies, voire un siècle. En contraste avec les démocraties libérales bornées par les cycles électoraux courts par nature, la Chine planifie pour la prochaine génération, selon les termes de Robert Engle. Yan Yilong a dit que la gouvernance chinoise par objectifs permet de dépasser l’opposition binaire classique entre économie planifiée et économie de marché. D’où la stérilité de la vieille querelle sur le « planisme ». Par des actions concrètes, la Chine a réussi à démolir le vieil édifice mis en place par la Société du Mont Pèlerin.
Les succès fulgurants de la Chine rendent obsolète la critique du planisme qui cache en réalité celle du socialisme. Prenons le cas d’Hayek. Sa thèse principale, qu’il emprunte notamment à Tocqueville, est que la démocratie est inconciliable avec la planification stratégique et le socialisme. Pour lui, le mot socialisme est synonyme d’abolition de la propriété privée des moyens de production et de création d’un système d’économie planifiée où, prétend-il, le chef d’entreprise qui travaille pour un profit est remplacé par un organisme planificateur central. S’appuyant sur Adam Smith, Hayek prétend que le planisme, le collectivisme et le socialisme engendrent nécessairement des gouvernements oppresseurs et tyranniques. Il reprend les mots de Tocqueville qui dit que la démocratie étend la sphère de l’indépendance individuelle tandis que le socialisme la resserre. La grande différence entre démocratie et socialisme serait que « la démocratie veut l’égalité dans la liberté et le socialisme veut l’égalité dans la gêne et la servitude ».
C’est à partir de ces vues erronées que les membres de la Société du Mont-pèlerin avaient conclu, contre toute évidence, que le marxisme a mené au fascisme et au national-socialisme, ces derniers étant le stade qu’on atteint après que le communisme s’est révélé n’être qu’une illusion. C’est un mensonge d’affirmer que Mussolini par exemple avait été d’abord socialiste avant de virer au fascisme. Accréditer pareille contre-vérité reviendrait par exemple à ôter toute légitimité et toute portée historique à la grande célébration du 80ème anniversaire de la défaite du fascisme et de l’impérialisme, le 3 septembre dernier par exemple. Or, contrairement aux prétentions d’un auteur comme François Furet, Mussolini était un pur produit du syndicalisme révolutionnaire des « marxiste hérétiques » comme Georges Sorel. En embrassant le nationalisme, ce dernier avait versé dans les positions contre-révolutionnaires et monarchistes de Charles Maurras et de l’Action Français. Hostile au socialisme démocratique, Sorel prétendait sauver le marxisme de la décomposition en opérant la synthèse du populisme et du nationalisme. Mussolini était en fait issu d’un milieu de droite, ou même d’extrême-droite, dressé pour barrer la voie au communisme, briser les grèves, harceler les bourses du travail, détruire les coopératives et démanteler les syndicats, ces derniers étant aussitôt remplacés par un syndicalisme fasciste, hostile à la lutte des classes. L’on comprend donc que le fascisme ait pu bénéficier du soutien financier, logistique, politique, militaire et idéologique des grands intérêts capitalistes. Hostile au communisme, le ministre de la Propagande du Troisième Reich, Joseph Gœbbels dit : « Le bolchevisme a vécu. Nous assumons ainsi devant l’Histoire notre devoir authentique. Contre une telle entreprise, Churchill lui-même ou Roosevelt ont peu d’objections. Peut-être réussirons-nous à convaincre l’épiscopat allemand des confessions à bénir cette guerre en tant guerre voulue par Dieu ». Ces aveux révèlent au moins une chose, à savoir que, Allemands, Américains et Anglais partageaient la même détestation du bolchevisme, du socialisme et du communisme.
The writer Nkolo Foé is full professor at University of Yaoundé I in Cameroon,and a member of the International Institute of Philosophy(Paris).